Qu’est-ce qu’un plan d’expérience (DOE) ?
Les plans d’expériences ont été réalisés dans le but de réduire les coûts d’expérimentations. Ils structurent et isolent l’effet de variables dépendantes (x) sur une réponse (y) recherché.
Les plans d’expériences, ou le design expérimental, vise à contrôler un environnement et faire varier certains facteurs (variables indépendantes) pour mesurer leur impact sur la réponse recherchée.
Selon Minitab, compagnie ayant développé un logiciel statistique puissant du même nom, un plan d’expérience « [permet] d’analyser simultanément les effets de variables d’entrée (facteurs) sur une variable de sortie (réponse). Ils consistent en une série d’essai (ou tests) au cours desquels les variables d’entrée sont intentionnellement modifiées. » (Minitab, 2022).
Dans un modèle linéaire, on retrouverait l’équation suivante : Y = aX + b où « Y » est la réponse, « a » la pente, « X » une variable indépendante et « b » le point d’origine.
En entreprise, on se retrouve souvent dans des systèmes complexes où plusieurs variables indépendantes ont un effet désirable ou indésirable sur notre réponse. Qui plus est, les coûts d’expérimentation sont souvent une contrainte, car cela peut représenter plusieurs milliers de dollars. Il devient donc important de bien construire ses plans d’expériences afin de tirer les bonnes conclusions, et ce avec un minimum d’expérimentation.
Le but de cet article est de présenter les concepts de quelques plans d’expériences pouvant être utilisés en entreprise ou dans la vie de tous les jours (si cela vous intéresse). Les explications ont pour objectif la compréhension générale de ces plans afin d’être en mesure de choisir le bon plan en fonction de votre situation.
Type de plans d’expériences
Il existe différents types de plans d’expérience et chacun a leurs avantages et leurs inconvénients. Dans cette section, certains plans seront présentés et illustrés à l’aide d’exemple.
Plan d’expérience Emboité :
Les plans d’expériences dits « emboités » sont des plans dont l’une des variables indépendantes est propre à une autre. On dira alors que ces facteurs sont emboités. Prenons l’exemple suivant :
Un chercheur sportif étudie la vitesse d’une balle de baseball à la sortie de 4 lanceurs automatiques différents (L). Chaque lanceur possède 3 canons (C) différents permettant d’expulser les balles. Les canons sont uniques et propres à chaque lanceur automatique. Ils ne peuvent donc pas former un plan factoriel (décrit un peu plus loin dans le texte).
Ce modèle ne contient pas d’interactions entre les variables. C’est-à-dire que la combinaison entre 2 variables, ici (L) et (C), ne peut pas avoir d’impact sur le résultat. Dans le cas où les canons seraient standards et interchangeables d’une machine à l’autre, on aurait pu considérer les interactions entre les variables. On y reviendra dans la section des plans factoriels.
L’équation de ce modèle serait donc la suivante : Yijk = μ + Li + Cj(i) + ε(kij)
Où “μ” représente la moyenne et “ε” l’erreur
i = 1,2,3,4 (car il y a 4 lanceurs automatiques), j = 1,2,3 (3 canons par lanceurs) et k = 1,2,3
Plan Factoriel :
Les plans d’expériences factoriels sont des plans complets qui consistent à tester chaque facteur (variables) d’une expérience, ainsi que leurs interactions. Ce sont des plans qui peuvent demander plusieurs essaient, mais qui ont l’avantage d’être très efficace, car toutes les possibilités sont étudiées. Toutefois, chaque fois qu’on ajoute un facteur à l’expérience, le nombre d’essais augmente de façon exponentielle (f^n où f est le nombre de facteurs et n le nombre de niveaux).
Chaque variable peut avoir plusieurs niveaux. Les niveaux correspondent aux nombres « d’états » pour laquelle une variable sera testée. Par exemple, on veut comparer le temps nécessaire à deux micro-ondes pour faire cuire un sac de pop-corn avec et sans beurre. L’un des micro-ondes à une puissance de 1800 Watts, alors que l’autre à une puissance de 2200 Watts. Les facteurs « puissance » et « type de popcorn » (avec ou sans beurre) ont donc 2 niveaux. On parle donc d’un plan 22 , ce qui donne 4 expériences.
Les plans factoriels permettent aussi de vérifier l’effet des interactions de variables sur la réponse. On considère qu’il y a une interaction entre deux ou plusieurs variables lorsque « l’effet combiné [des] variable est plus grand que les effets de chacune d’elles prisent séparément » (Hicks & Turner, 1999).
Mathématiquement, un plan factoriel , où A et B sont les 2 facteurs à 2 niveaux, se traduit par la formule suivante : Y= μ + Ai + Bj + ABij + εk(ij). AB représente l’interaction entre les facteurs A et B. représente la moyenne, tandis que représente l’erreur.
Plans d’expériences Fractionnaire :
Dans le but de diminuer les coûts et le temps des expérimentations, il est possible de réaliser des plans dits fractionnaires. Ces plans d’expériences permettent d’obtenir pratiquement autant d’information qu’un plan factoriel (plan complet), mais en ne réalisant qu’une fraction de celui-ci. Le nombre d’essais correspond alors à fn-k .
Pour ce faire, il faut diviser l’expérimentation en « bloc », dans lesquelles « il faut décider quels effets peuvent être confondus ». (Hicks & Turner, 1999). C’est-à-dire que l’on fait l’hypothèse que certaines interactions de facteurs sont négligeables. Dans leur livre, Hick & Turner mentionne 5 étapes pour déterminer les blocs d’un plan 2f (variables à 2 niveaux) :
- Définir la relation à confondre avec I (identité)
- Définir les niveaux des facteurs (0 = Bas niveau ; 1 = Haut niveau)
- ki représente l’exposant de la variable (facteur) de la relation définie à l’étape 1. Si la variable n’est pas dans la relation, son exposant est 0. On donnera une valeur de 1 pour tous les xi.
- Calculer l’expression linéaire suivante pour chaque combinaison : L = k1x1 + k2x2 + ⋯ + kf xf, mod 2 où mod 2 est le modulo 2, soit l’« opération binaire qui associe à deux entier naturel le reste [d’une division]. » (Modulo, 2022). Exemple, 7 Mod 2 = 1, car 7 = 2×3 + 1. Suivant cette logique, 8 mod 2 = 0, car 8 = 2×4 + 0.
- Toutes combinaisons ayant la même valeur de L forment un bloc.
Prenons l’exemple suivant, avec un plan fractionnaire 23-1 où
Y = μ + A + B + C + AB + AC + BC + ABC + ε
Définissons I = ABC, on obtient les blocs suivant :
Bloc 1 : (1), ab, ac et bc
Bloc 2 : a, b, c, abc
où (1) représente la combinaison où tous les facteurs sont au bas niveaux (0).
Démonstration :
Si I = ABC, alors : I = ABC = A1B1C1
- L(ABC) = 1×1 + 1×1 + 1×1 mod 2 = 3 mod 2 = 1
Maintenant, prenons chacune des combinaisons :
A = A1 = 1×1 mod 2 = 1 mod 2 = 1
B = B1 = 1×1 mod 2 = 1 mod 2 = 1
C = C1 = 1×1 mod 2 = 1 mod 2 = 1
AB = A1B1 = 1×1 + 1×1 mod 2 = 2 mod 2 = 0
AC = A1C1 = 1×1 + 1×1 mod 2 = 2 mod 2 = 0
BC = B1C1 = 1×1 + 1×1 mod 2 = 2 mod 2 = 0
(1) = A0B0C0 = 0x0 + 0x0 + 0x0 mod 2 = 0 mod 2 = 0
En regroupant les combinaisons ayant une valeur de L équivalente, on obtient les 2 blocs mentionnés plus haut (Bloc 1 = (1), ab, ac et bc / Bloc 2 = a, b, c et abc). Le bloc contenant la combinaison (1) est considéré comme le bloc principal. Toutefois, on choisira le bloc à étudier au hasard pour réaliser l’expérimentation.
Les calculs précédents démontrent le principe de la méthodologie présenté par Hick & Turner. Il existe cependant des tableaux où l’on retrouve les relations I et les blocs principaux en fonction du plan factoriel et du nombre de niveaux (f). Voici à quoi ressemblent ces tableaux (exemple avec des plans 2f) :
f | Bloc(s) | Relation (I) | Bloc principal |
2 | 2 | I = AB | (1), ab |
3 | 2 | I = ABC | (1), ab, ac, bc |
4 | I = AB = AC = BC | (1), abc | |
4 | 2 | I = ABCD | (1), ab, bc, ac, abcd, cd, ad, bd |
4 | I = ABC = BCD = AD | (1), bc, acd, abd | |
8 | I = AB = BC = CD | (1), abcd |
Les autres blocs peuvent être générés à partir du bloc principal. Pour ce faire, il faut sélectionner un élément autre à celui du bloc principal et déterminer le produit de cet élément avec les éléments du bloc principal.
Exemple : Le bloc principal est le suivant : (1), ab. Le deuxième bloc sera donc : a, b
(1) * A1 = A1B0 = A ou (a) | (1) * B1= A0B0 *B1 = B ou (b) |
AB * A = A1B1 *A1 = A2B1 = B (b) | AB * B =A1B1 *B1 = A1 *B2 = A (a) |
* Les lettres minuscules sont une norme lorsque l’on parle d’alias (combinaison dans les blocs)
Plan Taguchi :
Finalement, les derniers plans d’expériences présentés, sont les plans Taguchi. Ils ont été développés à partir des années 1950 par l’ingénieur et statisticien Gemichi Taguchi.
Les plans Taguchi ont pour but de fabriquer des produits de qualités, résistant aux fluctuations environnementales, et ce tout en minimisant les expérimentations requises pour vérifier quels facteurs influencent la réponse recherchée.
À l’intérieur de ces plans, on retrouve différents plans orthogonaux. La notation de ces plans est la suivante : Lx où x représente le nombre d’essais à effectuer pour vérifier l’effet de y facteurs sur une réponse.
Pour illustrer ce concept, voici un tableau comportant quelques notations de plan Taguchi, ainsi que leur signification :
Notation | Signification |
L4 ou 23 | La notation L4 ou 23 indique que l’on peut faire 4 essais pour évaluer un maximum de 3 facteurs à 2 niveaux. |
L8 ou 27 | La notation L8 ou 27 indique que l’on peut faire 8 essais pour évaluer un maximum de 7 facteurs à 2 niveaux. |
L9 ou 34 | La notation L9 ou 34 indique que l’on peut faire 9 essais pour évaluer un maximum de 3 facteurs à 3 niveaux. |
L16 ou 215 | La notation L16 ou 215 indique que l’on peut faire 16 essais pour évaluer un maximum de 15 facteurs à 2 niveaux. |
L27 ou 313 | La notation L27 ou 313 indique que l’on peut faire 27 essais pour évaluer un maximum de 13 facteurs à 3 niveaux. |
Les plans d’ expériences Taguchi utilisent des tables triangulaires et des graphes linéaires pour déterminer où positionner les facteurs et leurs interactions. Les graphes sont prédéterminés en fonction des plans à effectuer.
Par exemple, pour un plan L8, on retrouve la table triangulaire et le choix de graphes ci-dessous. Le choix du graphe est fait en fonction des interactions que l’on veut considérer.
Table triangulaire L8 (27) :
Colonne | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 |
(1) | 3 | 2 | 5 | 4 | 7 | 6 | |
2 | 1 | 6 | 7 | 4 | 5 | ||
(3) | 7 | 6 | 5 | 4 | |||
(4) | 1 | 2 | 3 | ||||
(5) | 3 | 2 | |||||
(6) | 1 | ||||||
(7) |
* Les chiffres dans cette table correspondent aux chiffres sur les graphes linéaires (ci-dessous)
Graphe linéaire L8 (27)
Dans le premier graphe, celui représenté par un triangle, les chiffres 3, 5 et 6 représentent des interactions. Par exemple, 6 est l’interaction entre les facteurs 2 et 4. Suivant ce même concept, les chiffres 3, 5 et 7 représentent les interactions dans le second graphe.
Pour terminer, voici un bref exemple de formule mathématique pour un plan L8, ainsi que sa table triangulaire et son graphe linéaire.
Exemple :
On veut évaluer l’impact de certains facteurs sur la vitesse d’un lancer frappé d’un joueur de hockey. Les facteurs (à 2 niveaux) à l’étude sont les suivants : la flexibilité du bâton (A), la courbe de la palette (B), la longueur du bâton (C) et le poids du bâton (D).
La réponse de cette étude est la vitesse de la rondelle lorsqu’elle pénètre le filet. L’endroit où le lancer s’effectue et l’athlète sont constant. C’est-à-dire, même endroit et même athlète (facteurs contrôlés). On obtient donc la formule suivante :
Y = μ + A(i) + B(j) + AB(ij) + C(k) + AC(ik) + D(l) + ε(m(ijkl))
Table triangulaire :
Colonne | A
1 |
B
2 |
AB
3 |
C
4 |
AC
5 |
6 | D
7 |
(1) | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 |
cd | 1 | 1 | 1 | 2 | 2 | 2 | 2 |
bd | 1 | 2 | 2 | 1 | 1 | 2 | 2 |
bc | 1 | 2 | 2 | 2 | 2 | 1 | 1 |
ad | 2 | 1 | 2 | 1 | 2 | 1 | 2 |
ac | 2 | 1 | 2 | 2 | 1 | 2 | 1 |
ab | 2 | 2 | 1 | 1 | 2 | 2 | 1 |
abd | 2 | 2 | 1 | 2 | 1 | 1 | 2 |
* Les 1 et les 2 représentent les niveaux des variables
Graphe linéaire :
Note : Le 6, vide, s’ajoute à l’erreur notée ε. Cela augmente le nombre de degrés de liberté (dl) de l’erreur et augmente par le fait même la précision des résultats du plan d’expérience.
Référence :
Abdulnour, Samir (2021). Impact de l’implantation de principe et d’outil du 4.0 et de l’agilité dans une PME québécoise – étude par simulation. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 104 p
Abdulnour, S., Baril, C., Abdulnour, G., & Gamache, S. (2022). Implementation of Industry 4.0 Principles and Tools: Simulation and Case Study in a Manufacturing SME. Sustainability, 14(10), 6336.
Minitab (2022). https://support.minitab.com/fr-fr/minitab/18/getting-started/designing-an-experiment/
Modulo (opération). (2022, mai 18). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 26 mai 2022 à partir de https://fr.wikipedia.org/wiki/Modulo_(op%C3%A9ration)
Plan factoriel. (2017, novembre 19). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 17 Mai 2022 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Plan_factoriel&oldid=142757878.
R. Hicks, C. & V. Turner, K. (1999). Fundamental concepts in the design of experiments, Oxford University Press, 5th.